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« Il a vu pousser le feu dans ses yeux lorsque les sauveteurs et les policiers ont débarqué, entre des vagues grandes comme des murs »

Sur l’autre bateau, le voilier de croisière, beauté effrontée habillée d’aluminium et compliquée d’écheveaux câblés-cordés, en une semaine, même en pleine tempête, tandis que les uns et les autres vomissaient tripes et boyaux par-dessus bord en appelant leur mère, pas une seule fois il n’a eu le mal de mer. Alors que là, sur le gros patrouilleur gris de la marine égyptienne, à peine le pied posé, il a une gerbe de l’au-delà. S’il se laissait aller, il pourrait vomir sur les bottes des trois officiers en noir qui les entourent dans le petit bureau de la cabine principale.
Ils ont fermé la porte et se sont assis, raides à l’extrême, autour de la table pour les questionner. L’apparition de l’autorité maritime dans leur paysage balnéaire lui semble incongrue ; les murs plombés, les uniformes, le ton de voix tranchant qui rend déjà coupable et résonne sur fond de solennité menaçante, alors que ce matin, ils plongeaient entre amis dans une forêt incendiaire de gorgones pistant un des derniers dugongs évoluant sous nos mers contemporaines, une vache marine merveilleuse brouteuse de fonds marins appartenant à l’ordre sirénien, bientôt disparue, quasi légendaire.
Le souvenir de l’apparition mammifère tout en ondes potelées et chants gazouilleurs fabrique une couche supplémentaire d’irréalité, maintenant qu’il doit répondre en arabe aux questions d’officiers égyptiens l’accusant de quelque chose qui n’est rien en comparaison de ce que les yeux d’Amal, sa femme assise à côté de lui, portent en eux.
Là, pour lui traduire les questions, avec dans la voix, à chaque intervention, le reproche de ne pas avoir eu la rigueur et le bon sens d’apprendre l’arabe, depuis le temps, elle a la rage. Il la sent physiquement, la voit circuler dans son organisme. A chaque fois que la pieuvre bilieuse vient prendre ses aises à l’intérieur de sa femme, il contemple, inquiet et remué, le contraste avec le flegme de sa voix et de son corps, grand, mou, élastique, sorti d’une des BD françaises des années 1970 qu’il lisait compulsivement lorsqu’il est arrivé d’Abou Dhabi en France à l’âge de 8 ans, tandis que sa future femme, elle, grandissait sous le soleil égyptien.
Il a vu pousser le feu dans ses yeux lorsque les sauveteurs et les policiers ont débarqué, entre des vagues grandes comme des murs, et qu’ils ont demandé en hurlant dans les rumeurs de la mer s’ils n’avaient rien à déclarer, et qu’un instinct étrange a poussé Henri à répondre que non, rien du tout.
Tandis qu’ils fouillaient le bateau, les cabines, ne trouvaient pas dans les bijoux d’Amal les pièces anciennes découvertes au fond quelques jours auparavant, les pièces grisées par le temps et le sel qui les ont rendus tous fous, que sa femme a décidé de garder pour les remettre aux autorités, après avoir appelé son copain qui travaille à l’ambassade, le petit, à tête de vieille femme anglaise, qui porte toujours des chemises imprimées depuis qu’il vit au Caire, les yeux de sa femme brûlaient.
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